Le potentiel du ver marin

Vous connaissez tous l’arénicole, ce ver marin appartenant au phylum des Annélides et qui fait des tortillons sur les plages, nommé buzuc en breton et que l’on cherche dans le sable pour appâter les hameçons des pêcheurs. Vous ne savez peut-être pas que cet invertébré pourrait permettre de grandes avancées dans des domaines de la médecine aussi variés que la transplantation rénale, la dermatologie, l’hématologie ou encore la médecine de guerre

A l’origine de ce projet, la découverte du Dr. Franck Zal qui a montré que l’hémoglobine de cet invertébré avait des propriétés exceptionnelles. Cette hémoglobine fixe bien plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine, elle n’est pas contenue dans des globules rouges (donc pas de problème de compatibilité sanguine), elle peut être lyophilisée puis réhydratée en retrouvant ses propriétés initiales, elle n’est ni immunogène, ni allergène. La société de biotechnologie HEMARINA, basée à Morlaix, a été créée en 2007 par Franck Zal pour assurer le développement d’applications médicales de cette molécule. Plusieurs collaborations avec des membres de notre CHRU ont vu le jour.

La première application pratique de la molécule pourrait être l’amélioration de la conservation des organes dans l’intervalle, parfois long, entre le prélèvement sur le donneur et la transplantation à un patient. Des études chez l’animal ont suggéré ce potentiel [1,2]. La sécurité de la production de ce dispositif médical, baptisé HEMO2life®, est assurée par une collaboration avec le laboratoire français LFB, spécialisé dans la fabrication de produits thérapeutiques dérivés du sang humain. Une étude clinique, pilotée par le Pr Yannick Le Meur, chef du service de Néphrologie et Transplantation Rénale du CHRU de Brest, va débuter très prochainement et pourrait permettre, si ses résultats sont positifs, une large utilisation en clinique de cette stratégie d’oxygénation des greffons.

La seconde application pourrait être le développement d’un produit de substitution au sang humain pour des transfusions dans des contextes urgents. Le Dr Zal collabore avec l’équipe brestoise du Pr Tristan Montier au sein de l’unité INSERM 1078 pour étudier la biodistribution de cette molécule par des techniques de biofluorescence in vivo chez le petit animal [3-5]. En parallèle, une collaboration avec le laboratoire de physiologie ORPHY de l’UBO (EA4324) et l’unité du Pr. Ozier (Pole Anesthésie-Réanimation-soins intensifs-bloc opératoires-urgences) notamment avec le Dr Ollivier Grimault, médecin aux Urgences du CHRU, se met en place pour étudier l’efficacité de la molécule dans un modèle animal de choc hémorragique (projet préclinique HEMOXYCHOC). La société HEMARINA est également en contact avec l’armée américaine, très intéressée par la possibilité de pouvoir utiliser un produit lyophilisé, sans problème de compatibilité, dans des contextes d’hémorragies aiguës et d’accidents vasculaires cérébraux dus à des explosions.

Prochainement, un nouveau projet de 2.2 M€ financé dans le cadre du FUI 18 et nommé MARbiotech dont les deux responsables scientifiques pour le CHU de Brest sont le Dr. Pascal Delépine (EFS- Unité Inserm U1078) et le Dr Elisabeth Leize-Zal (UFR Odontologie- Unité Inserm U1078) sera lancé. Ce projet vise à utiliser les transporteurs d’oxygène développés par HEMARINA pour permettre la colonisation de biomatériaux de type os (domaine dentaire) et cartilage (domaine orthopédique) par des cellules souches mésenchymateuses. Ce projet sera réalisé en collaboration avec le LIOAD de Nantes dirigé par le Pr. Weiss. Fiona Le Pape étudiante en thèse (UBO de Brest) réalise actuellement une thèse CIFRE sur ce sujet au sein de cette unité [6,7].

Enfin, l’hémoglobine d’arénicole pourrait être utile pour la confection de pansements « oxygénants », qui pourraient aider à guérir les plaies chroniques comme les ulcères des membres inférieurs, les escarres ou les lésions cutanées liées au diabète.

A l’heure actuelle, ces vers marins sont élevés en aquaculture en Hollande dans un environnement complètement tracé et contrôlé. Prochainement, une « ferme à arénicoles » sera mise en place en Vendée, et une production locale est envisageable dans les années qui viennent.